LE PRENEUR DE FEU Richard Kadrey
Preston se promet d’arrêter de prendre les pilules
Les barbituriques du marché noir sont puissants,
beaucoup plus forts que les somnifères qu’on lui
donnait à l’infirmerie militaire de la ville (mais pour-quoi appeler ville une douzaine de baraques en T, de
casernes, et un million de tonnes de gravats ?). Pour-tant, sans alcool pour faire descendre les pilules,
Preston sait qu’il n’arriverait jamais à s’endormir.
Une fois, Preston a ramené quelques pilules au
laboratoire de l’armée et les a fait analyser. Il s’est révélé que chaque pilule était totalement différente
des autres, un patchwork dingue de toutes les drogues que les fabricants pouvaient avoir sous la
main : Thorazine, MDA, mégaludes, Nembutal. Parfois Preston achète de petites quantités d’opium
pur. Il le mélange à la vodka pour produire sa propre
version grossière du laudanum. Il lui arrive de trouver tout cet effort amusant. Il sait très bien que
n’importe laquelle de ces drogues, combinée avec tout l’alcool qu’il boit, pourrait le tuer – et qu’est-ce
Preston est un assassin au service de l’armée d’oc-
cupation américaine en Europe. Toutefois, ces derniers temps, il a du mal à abandonner son travail
Au bout d’une demi-heure, il est manifeste que les
pilules ne font pas d’effet. Les curseurs qui clignotent sur une douzaine de terminaux informatiques sont
sur le point de le rendre fou. Preston prend deux pilules de plus et les avale d’un trait avec de la vodka
dans un gobelet en plastique. Il va dans la chambre chercher son manteau, mais s’arrête pour fermer la
porte de l’armoire vide de sa femme.
Trois heures du matin, heure de Berlin. Une pluie
amère à l’odeur de métal tombe sous forme de brume. Preston a besoin de boire. Six pilules dans
l’estomac et il n’a même pas encore envie de dormir. Le pinceau de sa torche joue sur les ruines sans éclai-
Chaque jour, l’armée s’emploie à dégager les rues,
repoussant les immeubles pulvérisés sur les
fondations éclatées dont ils sont tombés. Des
morceaux de béton entassés pêle-mêle et des torsades de fil de fer se rejoignent en longues rangées
jusqu’à ce que les quartiers résidentiels ne fassent plus qu’un seul bloc continu.
Preston déplace le faisceau de sa torche sur les
immeubles vides, espérant se découvrir quelque lien
romantique avec les ruines, comme si, parmi les pierres fracassées, pouvait se cacher l’antidote à
toutes ses peurs innommées. Pourtant, à la fin, on en revient toujours au même ensemble d’images fractu-
rées : Preston dans le noir ; Preston dans les ruines, sous la pluie, seul.
Ça ne fait que quelques jours qu’elle est partie
mais il a déjà oublié son visage, ce qu’il lui avait dit,
ce qu’elle lui avait dit. Elle est partie ; il n’y a que ça de vrai. Il l’a regardée faire ses valises, l’a regardée
monter dans l’avion militaire pour New York.
Il avait apprivoisé les systèmes informatiques les
plus complexes du monde, et pourtant il n’a pu empêcher sa femme de partir. Mais il n’a perdu son
Elle montait la rampe d’accès à l’appareil, Preston
était debout derrière une clôture de barbelés, et il a hurlé son nom. Une seule fois. Tous les gens sur la
piste se sont retournés pour le fixer. Il est rentré en vitesse dans son bunker et s’est saoulé. Plus tard, il a
découvert des entailles sur ses mains là où il avait
De retour dans le bunker informatique, Preston
tourne son attention vers le moniteur où sont affichés
les codes des médicaments pour l’hôpital d’État de Leningrad. Il commence à pianoter, changeant un
chiffre par-ci, un chiffre par-là. Une vague blanche de parasites tremblote en travers de l’écran et noie l’affi-
chage. Un mauvais contact ? Preston se lève et vérifie ses connexions en fibres optiques. Il vient de pirater
le logiciel de la pharmacie il y a seulement quelques minutes et ne tient pas du tout à attirer l’attention
sur sa présence. Tandis que l’interférence s’atténue, il se met rapidement au travail. DERNIER APPEL POUR LE VOL TRANSATLANTIC 2026 Jean-Pierre Andrevon
C’est comme ça que tout a commencé. Avec un
type appelé Ahmed el Assad, le Lion, autrefois Jo
Sienkeiwicz, natif de Vénissieux, région lyonnaise, France, chômeur retourné par des salafistes syriens,
ayant fait ses classes en Afghanistan et désormais shahid, Martyr, à preuve son torse bardé d’explosifs à
commande manuelle (il suffit de tirer sur le truc qui pendouille), et les cris qu’il pousse, Allah akhbar ! Allah akhbar ! en courant pieds nus, ça fait du bien quand ça fait mal, à la surface du désert brûlant. Le
lieu : Arabie saoudite, pas très loin du terminal pétro-lier de Doah, le plus important du pays, dont on voit
à l’horizon onduler les tours en résille au-dessus d’une nappe de mercure. Loin, trop loin, bien sûr.
Mais la ligne sombre de l’oléoduc qui rejoint la mer
Rouge au bout de deux mille kilomètres est proche, toute proche. Moins de cent mètres. Il suffit de courir
entre les balles qui, Allah soit loué, sifflent autour de lui sans l’atteindre. Il court. Chtoff-chtoff-chtoff… la
plante de ses pieds cornés dans le sable à 72 degrés.
À droite et à gauche du cylindre de bronze,
chevauchant sa ligne de crête, des silhouettes en treillis cavalent, lâchant des rafales sporadiques dans
sa direction. Mais le Martyr les ignore. Il court. To-ploc-toploc-toploc ! son cœur. Qu’il ignore. Comme il
ignore Abdelaziz, Mahmoud, Shérif, laissés raides derrière lui, avec de grands trous rouges dans la
kamiss. Il ne pense même pas aux soi-disant vierges (soixante-dix, ou soixante et onze ? – il n’a jamais su
le chiffre exact…) qui l’attendent au Paradis. À supposer qu’il y ait réellement cru. Il ne pense à rien.
Il court dans la chaleur à faire cuire une carpe. La première balle à lui arracher un quart de livre de
viande avec les débris de sa clavicule gauche ne l’ar-rête que le temps de faire un tour complet sur lui-
même. Quand même, un cri s’échappe de sa bouche, qui ressemble à un banal Aïe ! suivi d’un la pute !
qu’il n’a peut-être fait que penser. De toute façon c’est fini, il y est, il a atteint son objectif, la massive
muraille vert sombre contre laquelle s’écrase un corps qu’il ne contrôle plus. Sa joue s’aplatit contre le
métal brûlant, son index réussit à crocheter la boucle
fixée à la courroie détonateur. D’autres balles
hachent son corps. Mais quelle importance ? Même pas mal. Le cercle de laiton s’enfonce dans la pliure
de sa phalange, il tire, il a tout juste le temps de souf-fler Allah Ouak… que l’Enfer ouvre grand ses portes
de bruit et de fureur – l’Enfer, pas le Paradis. Mais là où il est, ça revient au même.
L’oléoduc s’est fracassé par le milieu, dégorgeant
un geyser de feu qui déploie sa draperie contre le ciel
blanc. Dans le siphon, le pétrole raffiné avale les flammes qui se ruent vers l’amont comme vers l’aval
à la vitesse d’un métro express dans son tunnel. Il lui faut trois minutes vers l’amont pour atteindre une
première cuve, autour de laquelle se dispersent des fourmis humaines. La cuve, cent quarante mille
barils de brut, saute comme un bouchon de cham-pagne. Et une seconde. Et une troisième. Le terminal
en compte six mille. Trois minutes et une poignée de secondes après le martyre d’Ahmed, dont il n’existe
plus rien, il ne demeure pas grand-chose non plus de l’inhumaine cité pétrolifère. Seulement une méduse
pourpre entourée de flocons boursouflés d’encre noire, qui se déploie dans le ciel sur neuf kilomètres
de hauteur, très semblable à un champignon nucléaire, et pour des résultats similaires.
Mais ce n’est pas tout. La même chose vient de se
passer, au même moment, à Bahreïn et dans tous les
émirats, en Irak, au Koweït, en Azerbaïdjan, au
Turkménistan, en Angola, au large du Congo, ailleurs
encore. Trente-six attentats, minutieusement préparés des années durant par Al Qaïda. Et pour la
plus grande part réussis. Quelque part, quelqu’un – et peu importe qu’il s’agisse ou non de Ben Laden
(disons qu’il s’agit d’un des nombreux successeurs autoproclamés de Ben Laden) se frotte les mains : le
sang de l’Occident est en train de partir en fumée. Le 11 septembre, à côté, c’est une flamme d’allumette…
C’est ainsi que ça a commencé, oui. Mais on peut
tout aussi bien considérer que les vrais débuts
remontent à cette journée de 1859, en Pennsylvanie, près d’un misérable bled nommé Titusville, alors que
le colonel Drake, moustaches en croc, gueule de pirate, grand chapeau gansé, deux pistolets de
marine dans les fontes, regardait avec étonnement fuser la première éruption de l’or noir trouvé presque
par hasard dans un gisement étalé à trente mètres seulement sous ses pieds bottés. Ou, bien plus loin
encore, en compagnie de ce paysan babylonien qui, six mille ans avant l’hypothétique Jésus-Christ, récol-
tait de ses mains noires les schistes bitumineux affleurant pour en sceller les briques de sa maison.
Bien vains calculs. Il y a toujours un commence-
ment aux commencements et, si ça vous amuse, on
peut le faire remonter à la fracture de Gondwana, il y a cent quarante millions d’années, alors que, suite à
une élévation de température, une biomasse
considérable s’enfouissait dans des cavernes pauvres
en oxygène comme en bactéries, se muait en vases répugnantes riches en macromolécules carbonées
qui, sous la pression, finiraient par se casser pour se transformer en hydrocarbures.
En vérité, on ne sait jamais vraiment quand ça
Par contre, comme pour les histoires d’amour, on
LA TROISIÈME DIMENSION Romain Lucazeau
La naissance des civilisations est souvent marquée
par des événements stellaires : l’apparition d’une étoile, le passage d’une comète.
Ce soir-là, ce fut un rayon d’origine cosmique,
invisible à l’œil nu, qui termina sa course folle à
travers l’espace infini, dans le transformateur élec-trique d’un immeuble parisien.
Dans quelle sphère de gaz incandescents ce flux de
Quelles merveilles gravitationnelles avait-il traver-
sées, presque insensible à la matière comme à
Épuisé par son long voyage, il périt dans le fracas
d’une rencontre avec un minuscule morceau de sili-cium, et de cet événement cataclysmique naquit une
Il était alors deux heures quarante-trois du matin,
au milieu de la nuit du samedi au dimanche.
Dans un appartement du troisième étage, les
plombs sautèrent. Le jeune homme qui occupait les
Quelques secondes plus tard, le réfrigérateur, au
demeurant un peu sale, qui occupait un coin de la cuisine, commença à se réchauffer doucement,
n’étant plus alimenté en électricité. Des colonies de bactéries, engourdies depuis des jours par l’impla-
cable chaîne du froid, se réveillèrent de leur sommeil, pas loin d’un pot de confiture. Puis, insensiblement,
la température au sein du frigidaire grimpa juste au dessus du seuil fatidique des deux degrés Celsius.
Alors ?Alors ce fut le printemps des bactéries.
Eugène ressentit un joyeux pincement au cœur
lorsqu’il traversa l’entrée monumentale et grouillante
de monde de l’Académie des Sciences. Ses limites en carbone finement ciselé avaient un petit goût de
triomphe. Car, depuis peu, il était officiellement chargé de recherches dans la prestigieuse institution,
fondée par Alphonse 4 le Visionnaire, au début de l’Abondance, quatre cents secondes plus tôt.
Cette fois-ci, cependant, l’état d’allégresse céda
rapidement le pas à un terrible sentiment d’ennui,
lorsqu’il découvrit que sa demande de réaffectation
était refusée, et qu’il devrait continuer à faire de la
chimie et de la génétique. Il traîna des cils jusqu’à son compartiment de travail.
Sa véritable passion, son travail de thèse, c’étaient
les géométries non conventionnelles, pas ces
médiocres tâtonnements dans le noir qu’on appelle les sciences appliquées. Quand il faisait des mathé-
matiques, il se sentait pousser des ailes. Quand il s’occupait d’enzymes et de lichens, il avait l’impres-
Mais c’était comme ça. La Colonie voulait que ses
plus brillants éléments se consacrent à l’art ancestral d’améliorer les conditions de traitement et de conser-
La Substance permettait la nutrition, l’allonge-
ment de la vie et la division cellulaire.
Elle nourrissait les unicellulaires, qui à leur tour
produisaient les matériaux nécessaires aux construc-
Il était étonnant, quand on y pensait, que la civili-
sation bactérienne soit fondée sur cet étrange composé de carbone et d’hydrogène, qu’on appelait
également Glucide dans la langue sacrée.
Car c’était la Substance qui décidait de la guerre et
de la paix. Et nul ne savait la synthétiser.
Eugène 125 était bien placé pour le savoir. Il était
le dernier-né d’une prestigieuse lignée cellulaire,
dont le Premier, toujours vigoureux après des
milliers de secondes, se plaisait souvent à raconter le Réveil et les féroces combats contre les autres
espèces de bactéries, aux côtés du Roi Alphonse 1, paix à son protoplasme.
Quoique absolument identique à son géniteur,
Eugène ne possédait qu’imparfaitement les souvenirs
de Papa. Mais cela suffisait, quand il y pensait, à le remplir de fierté. Il aurait pu être un guerrier, il avait
préféré être un savant, pour servir la Colonie.
Mais il y avait des jours… Il lâcha un gros batte-
L’HUÎTRE ET LA PERLE Daniel Walther
Un de mes amis prétend que les huîtres au
moment d’être gobées toutes vivantes dressent une paire d’yeux pédonculés, comme ceux des escargot
Quant à Lewis Carroll, il a consacré un poème émou-vant de Through the Looking Glass à d’imprudentes
petites huîtres, poème qui a ensuite inspiré le dessi-nateur et conteur humoristique et fantastique Gahan
Wilson dans une nouvelle intitulée The sea was wet as wet could be.
Les huîtres sont une petite merveille gastrono-
mique aux yeux de certains, une simple horreur pour
d’autres. Avaler vivante cette masse molle et froide, seulement relevée d’un trait de citron, peut en effet 1 « Le reproche dans l’œil de l’huître », de Jörg Weigand, extrait du
recueil Geschichten am Rande der Wirklichkeit (Histoires à la lisière de la réalité). Non traduit.
Les huîtres couvent également des grains de sable
pour en faire des perles plus ou moins réussies et
Pour ces grains de sable roulés dans la nacre, des
milliers d’hommes ont risqué leur vie, pêcheurs de perles ou aventuriers, voleurs ou flibustiers. Oui, les
perles, blanches, roses ou noires, ont souvent été trempées dans le sang – ce qui n’enlève rien à leur
Notre histoire commence au moment où Sergio
Forlani entre dans un excellent restaurant parisien
spécialisé dans les produits de la mer et de l’océan, pour interrompre une journée d’un incoercible ennui.
Sergio n’est pas Italien mais Corse. C’est un Corse de bonne constitution, engagé dans un mouvement
indépendantiste non violent, rejeté par les Français de Métropole et par l’aile extrémiste de ceux qui
veulent la liberté totale de leur île. De préférence l’arme à la main.
Sergio est musicien et compose des suites sympho-
niques, des partitions pour orchestres de chambre et
des chansons fortement influencées par la tradition polyphonique insulaire. Il commence à être connu, et
des festivals italiens ou métropolitains lui ont
commandé des œuvres. Il travaille actuellement à un
opéra inspiré par Los Encantadas de Herman Melville.
Il se trouve donc à Paris, une ville qu’il n’aime pas,
car elle symbolise la centralisation et l’oppression,
mais il est bien obligé de s’y rendre de temps à autre, afin de rencontrer des agents, des directeurs de salle
de concert et des chefs d’orchestre.
Ce jour-là, vers 13 h, Forlani, comme toujours vêtu
avec goût mais sans ostentation, entre dans la salle du restaurant Aux saveurs des vagues. Il sait qu’il
s’agit d’un local très cher, mais il a de l’argent et se moque d’être arnaqué.
Il est vite pris en remorque par un garçon volubile
qui l’installe et lui tend une carte gigantesque : les
plats sont décrits de façon (trop) poétique, avec des circonlocutions précieuses, et les prix se révèlent à
l’avenant. Sergio commande des huîtres et des gambas ainsi qu’une bouteille de Chablis.
Il est presque déçu, mais les huîtres ont l’air très
fraîches, et le vin est délicieux. Du coup, il se sent
moins las et entame sa douzaine de fines de claire. D’étranges pensées accaparent son esprit. Il a déjà
gobé quatre huîtres quand, soudain, il n’en croit pas ses yeux : il vient de surprendre une brillance à la
MORT D’UN AGENT Lino Aldani
Gregory Barnes sortit du spatioport de New
Washington à quinze heures. Il s’arrêta quelques instants sous l’énorme auvent, quelque peu indécis. Il
devait se présenter à dix-neuf heures au colonel Lunigan pour le visa de contrôle habituel. Gregory
pensa qu’il aurait le temps de se raser, de prendre une douche et de se reposer une paire d’heures.
Il héla un aérotaxi. Dans le même instant, et sans
qu’il ait eu besoin d’esquisser le moindre geste, l’un
— Veuillez vous asseoir à l’avant, s’il vous plaît, lui
enjoignit le conducteur. Je viens de remplacer les sièges et le vernis est encore frais.
Gregory s’installa à côté de lui. Il se sentait las,
nerveux : dix heures de voyage dans l’espace ne sont
pas une sinécure, bien qu’il ne manque, à bord des astronefs, aucune commodité. Il tambourina sur sa
petite valise puis dévisagea le chauffeur. Un type
ordinaire, aux yeux perçants, au menton proéminent et aux mains épaisses et peu soignées qui émer-
geaient des manches d’un blouson de cuir plastifié un peu trop juste pour sa taille ; il appartenait à la caté-
gorie des conducteurs bavards, véritable calamité pour les passagers taciturnes. Il commença par l’en-
tretenir du temps, mais Gregory fit la sourde oreille. Il effectua une nouvelle tentative sur le sport :
Gregory ne broncha pas. Alors, le chauffeur lui demanda :
— Comment ça se passe, là-haut ? Est-ce qu’on va
Gregory tressaillit, soudain sur le qui-vive. Il jeta
un regard en coin au conducteur mais se rendit
compte aussitôt que ses soupçons n’étaient pas fondés. Il était sorti du spatioport à quinze heures.
Les « taxis » connaissent par cœur tous les horaires des astronefs et leur provenance. Il était donc facile
de deviner qu’il arrivait de Vénus.
— Je suppose que vous ne souhaitez pas qu’elle ait
lieu, continua le chauffeur. Je me trompe ?
Gregory regarda à l’extérieur. Au-dessous d’eux,
les édifices et les jardins de New Washington s’éten-daient à perte de vue dans la chaude luminosité de
l’après-midi. Le conducteur avait branché le pilote automatique et souriait, immobile, les bras croisés.
Gregory porta une cigarette à ses lèvres.
— La situation est loin d’être claire, répondit-il,
mais ce n’est pas demain la veille qu’on déposera les armes, j’en ai peur…
Il fouilla dans ses poches à la recherche d’allu-
mettes. Le chauffeur lui tendit l’allume-cigare, pressa
le bouton moleté ; une vapeur âcre, jaune pâle, inonda le visage de Gregory. Un instant à peine, le
temps de penser : Je suis perdu, et il bascula à la renverse sur le siège, inconscient. À la Rade de Cristal, sur Vénus, la nuit est déjà tombée. Les colons dorment. Ce sont des gens qui travaillent dur toute la journée, tout en luttant contre les adversités d’un climat qui engendre la La vie est rude sur Vénus. Les Terriens ne se sont décidés à coloniser la planète qu’à la suite des désordres sociaux provoqués par l’accroissement, toujours plus vertigineux, de la population. Mars ayant fermé ses frontières, il était nécessaire de trouver un autre débouché, d’autres ressources à utiliser, d’autres aliments pour des millions d’êtres À la Rade de Cristal, il y a aussi des espions. Agents des services secrets martiens ou terriens tissent depuis longtemps une toile d’araignée nouée d’intrigues : sur l’échiquier de la guerre qui, d’un moment à l’autre, peut éclater, Vénus représente Les colons le savent. Mais les sacrifices, les besoins et la lassitude ne leur laissent pas le loisir de s’en préoccuper. Ils dorment. Dans le silence de la nuit humide et chaude, la Rade de Cristal est une grisaille de consciences assoupies, tranquilles.Sur Terre, à des millions de kilomètres de là, Gregory Barnes se prépare à passer la nuit la plus hallucinante de toute son existence.
La pièce était sombre, presque privée de meubles,
ses murs recouverts d’un mauvais crépi. Ce fut la première chose qu’il remarqua : l’enduit qui tombait
en miettes. Et il se surprit à penser à l’étrange parti-cularité de son réveil qui lui faisait découvrir, en
premier lieu, un détail plutôt que l’ensemble de ce qui l’entourait.
Il était assis. Il essaya de remuer les jambes mais
ne le put pas ; il était pourtant certain de n’être pas
ligoté. La pièce était dépourvue de fenêtres ; peut-être se trouvait-il dans une cave ; les taches verdâtres
sur les murs encouragèrent cette hypothèse.
Quelqu’un se trouvait derrière lui. Il en devinait la
présence à cause de certains petits bruissements indistincts, un frottement continuel et une respira-
tion difficile, comme celle d’un asthmatique.
Une pression se fit sentir sur le dossier du siège.
Une force de rotation l’entraîna dans un demi-tour. Il battit deux ou trois fois des paupières. Devant lui se
trouvait un bureau et, derrière le bureau, un homme, masque rigide, impassible.
L’autre se tenait à côté de lui, debout. Ce n’était
pas le chauffeur de l’aérotaxi. Celui-là était petit,
maigre, avec des yeux jaunes, très mobiles, qui le fixaient dans un battement de cils continuel.
L’homme assis baissa imperceptiblement la tête. À
ce signe, le petit maigre se rapprocha de Gregory,
d’un pas élastique et ondulant. Il le saisit au menton, délicatement, l’obligea à relever la tête. Dans les yeux
qui le fixaient, Gregory devina une lueur sinistre de méchanceté et de sadisme.
L’homme maigre se détendit comme un ressort.
Une gifle, d’une violence extrême, atteignit Gregory à
la joue gauche. Au même instant, une saveur douceâtre de sang lui envahit la bouche. Une main
l’agrippa aux cheveux, le contraignant à relever de nouveau la tête. Un second coup, terrible, l’atteignit
avec une violence plus grande encore.
— Alors ? fit le maigrichon d’une voix cinglante et
chargée d’ironie. Nous sommes prêts pour l’interro-gatoire, major Barnes ?
C’était une voix de cauchemar, de celles qui, dans
les rêves, font se rétracter l’épiderme. Gregory
Barnes leva péniblement un bras, se passa une main
sur sa joue tuméfiée, ôta le sang qui coulait de la
lèvre coupée et cracha sur le sol.
— Je ne m’appelle pas Barnes, essaya-t-il de dire
en s’efforçant de mettre dans le ton de sa voix le plus de naturel possible, avec un rien de perplexité et de
surprise. Je m’appelle Edmond Brooks ; je suis ingé-nieur en électronique à la Silver & Bauer Company.
— Inutile de nous la faire, l’interrompit la voix
âpre, comme un coup de fouet. Tu es le major Barnes
Une porte s’ouvrit, laissant apparaître une femme
d’une trentaine d’années, à la chevelure blond platine.
— Je prépare la piqûre ? interrogea-t-elle, avec
LE RESTE DE SON ÂGE George Barlow
— Eh bien, tonton Nestor, qu’allez-vous aujour-
d’hui puiser pour nous dans votre inépuisable trésor
— … des temps héroïques de la navigation inter-
— N’avez-vous pas encore quelque beau massacre
— Et si, pour changer, vous trouviez quelque chose
de bien sentimental pour faire plaisir à ces demoi-
— Nous ne sommes pas plus sentimentales que
vous autres, proteste Yamilah Yafi de ses lèvres minces, un éclair dans ses yeux noirs, et c’est plutôt
toi qui l’es, Maamar, et rétrograde avec ça, d’utiliser cette vieille appellation sexiste de « demoiselle » au
De fait, elle se distingue à peine des garçons,
sanglée dans le même uniforme qu’eux – blouson,
pantalon collant et bottes – avec ses boucles brunes coupées très court, ses hanches et sa poitrine à peine
arrondies, ses longues cuisses sveltes, et la beauté régulière et presque sévère de son visage. Et elle fait
tout pour être un cadet parmi les autres, les suivant même en ces sorties interdites au Nect’bar et autres
Mais son inséparable amie, la blonde Mélissa,
— Oh ! oui, capitaine Nelson, une histoire moins
dure cette fois ! La vie de Navigateur n’est pas que lutte et souffrance, cruauté et mort, tout de même ! Il
— Exotiques !— Les animaux attachants et affectueux ! Pourquoi
pas une histoire de bête ? suggère Maamar.
— Moi je préférerais une histoire d’intelligence,
— Ce n’est pas très gentil pour le capitaine Nelson,
ce que tu dis là ! Tu as trouvé ses autres histoires bêtes ?
— Nullement ! Seulement, mes préférences vont
aux héros qui utilisent plus leur tête que leurs
— Oh ! Tout le monde sait que tu fais tes délices de
vieilles histoires sur des détectives à la manque, qui
découvrent les auteurs de piètres vols et assassinats
passionnels ou crapuleux sans bouger de leur fauteuil et sans quitter leurs pantoufles. Quel intérêt peux-tu
bien trouver à ces intrigues sordides à côté des hauts faits de l’épopée spatiale ?
— Tu peux bien rire, Ferhat ! Moi je sais bien qu’il
y a encore place pour des Sherlock Holmes ou des
Dupin sur cette Terre où l’Ennemi fait toujours des siennes, et dans l’espace plus encore.
— Allons, je crois pouvoir vous mettre tous d’ac-
cord, avec une histoire d’amour qui est aussi une
énigme et une histoire de chien. C’est la suite de l’his-toire de Joyce O’Dwyer.
— Ah ! oui, ce Libre Navigateur qui a joué un si
grand rôle dans votre expédition sur Ilion, en retrou-
— Oui, c’est ce que je vous ai raconté l’autre jour.
Mais la suite ? Si quelqu’un la connaît, je paie une tournée générale.
— Quel événement !— Dans le cas contraire, bien entendu, c’est vous
Tardive Dyskinesia is a side effect of antipsychotic medications. If an antipsychotic medication or Amoxapine is prescribed, this policy must be followed in combination with the "Psychotropic Medications Administration Policy”. Persons who receive the service of medication administration and/or monitoring of medications from Home and Community Options, Inc. shall be free from chemical restr
CURRICULUM VITAE Dr. V. Rama Mohan Gupta, M.Pharm, Ph.D Principal & Professor, Dept. of Pharmaceutics, Pulla Reddy Institute of PharmacyNear Dundigal Air Force AcademyAnnaram (V), Jinnaram (M) Medak (Dt)Andhrapradesh – 502313Ph. (M) 91-9490081629, (O) 08458-274464/65E-mail: Research Interests: Development of different multiparticulate carrier systems to target different organs a