De Lorimier, Myriam, interne à l’IRM, à l’automne 1997. INFO-AQIPA, Spécial Colloque octobre 1999, vol. : 3, no. : 1, août 1999, pages 11 à14. Le texte de cette présentation est disponible chez l’auteure et à l’IRM. Mots-clefs : douleur sensation fantôme Résumé : Le présent article fait la synthèse de ce qui a été écrit sur les sensations et les douleurs fantômes en définissant ce qu’elles sont, en montrant ceux qui en souffrent, en rappelant les différentes théories qui les expliquent et en indiquant les traitements susceptibles de les atténuer.
Le phénomène du « membre fantôme » est connu dans la littérature
médicale depuis le dix-neuvième siècle, mais on ne comprend pas encore avec
exactitude le mécanisme des sensations et des douleurs fantômes ni le
traitement efficace pour soulager les patients qui en souffrent. Pourtant, une
revue de la littérature sur ce sujet nous permet d’approfondir notre connaissance
du phénomène et d’éviter les généralités. Le présent article fait la synthèse de
ce qui a été écrit sur les sensations et les douleurs fantômes en définissant ce
qu’elles sont, en montrant ceux qui en souffrent, en rappelant les différentes
théories qui les expliquent et en indiquant les traitements susceptibles de les
Quelques définitions
On distingue habituellement les sensations fantômes et les douleurs
La sensation fantôme est une impression qui consiste à ressentir un
membre malgré sa « désaffectation » (le membre inexistant n’est plus afférent au
corps). Les sensations ressenties peuvent être diverses : sentiment normal d’un
membre sain, picotement ou fourmillement, légers courants électriques,
La douleur fantôme se définit comme une sensation douloureuse perçue
dans un membre privé de système sensoriel. Dans ce cas, les diverses
manifestations observées peuvent ressembler à de vives brûlures, de fortes
crampes, un fort courant électrique, des coups de couteau, un écrasement.
Les sensations fantômes surviennent chez 95 à 100% des amputés.
Quant aux douleurs fantômes, on les constate chez environ 70% des amputés
pendant les premières semaines suivant leur opération. Mais ces douleurs
peuvent apparaître des mois ou même des années après l’amputation. En
définitive, l’apparition, l’intensité, la durée et la fréquence des douleurs
fantômes varient beaucoup d’une personne à l’autre.
Les patients et leurs expériences fantômes
Sensations fantômes ou douleurs fantômes constituent des expériences
attribuées le plus souvent aux personnes amputées d’âge adulte. Cependant,
nous savons maintenant que les enfants ayant perdu un membre peuvent aussi
ressentir ces expériences. Plus encore, les enfants naissant avec une
malformation congénitale peuvent vivre ce phénomène, même si, dans ce
dernier cas, les membres fantômes ne sont pas perçus d’une manière aussi
réelle et vivante que chez les amputés.
Les expériences fantômes peuvent être multiples chez la personne qui a
subi la perte d’un membre supérieur ou inférieur, chez le paraplégique qui n’a
plus aucune sensation somatique ni mouvement volontaire en dessous du niveau
de la rupture, chez la femme qui a subi une mastectomie, chez l’homme qui a
subi l’ablation du pénis ou chez les personnes qui se sont fait enlever le rectum
ou la vessie. Les sensations ou les douleurs fantômes peuvent donc être
ressenties tant chez la personne qui a subi l’ablation d’un organe interne que
chez toute personne qui a été amputée d’une partie de sa structure corporelle.
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La personne conserve ou éprouve la sensation de l’orgasme ou de l’éjaculation,
celle de « passer des gaz » ou encore d’uriner. Même les individus qui vivent la
perte totale ou partielle de la vision ou de l’audition peuvent expérimenter une
audition ou une vision fantôme : on entend des bruits dans sa tête, on voit des
êtres inconnus ou des images de bâtiments insolites.
L’un des traits les plus étonnants et les plus extraordinaires de ces
expériences fantômes, c’est qu’elles ont un caractère réel. Le membre fantôme
peut bouger et se déplacer dans l’espace de la même façon qu’un membre
normal bougerait quand la personne marche s’assoit ou s’étire : si la personne
s’assoit, la jambe fantôme plie, si la personne se couche sur le dos, la jambe
Une autre caractéristique des expériences fantômes a trait à la
modification graduelle de la perception initiale. Au début, le membre fantôme
apparaît avec une forme et une grandeur bien définies et normales. Mais, avec
le temps, le membre change de forme et devient moins défini. La main ou le
pied fantôme peut sembler flotter en l’aire. Parfois même, le membre fantôme
se télescope tranquillement dans le moignon, c’est-à-dire que le membre
fantôme rapetisse ou qu’une partie distale devient de plus en plus proximale.
Par ailleurs, le fait de porter une prothèse peut augmenter le caractère réel de
l’expérience fantôme : le membre fantôme qui avait commencé à se télescoper
dans le moignon tend à remplir la prothèse à tel point que, par exemple, le pied
fantôme va occuper tout l’espace du pied artificiel dans le soulier.
Une autre caractéristique encore : les sensations fantômes sont plus
souvent ressenties dans les parties distales des membres amputés, qui sont
plus abondamment innervées comme la main et le pied, mais elles peuvent
aussi être ressenties dans d’autres parties du corps comme les dents, la langue,
la vessie, le rectum, les organes génitaux et les seins. Il peut arriver que le
membre fantôme adopte une position inhabituelle. On verra, par exemple, un
amputé sentir son bras fantôme à 90o d’abduction. Alors, il se tournera de côté,
lorsqu’il passera sous le cadre d’une porte, éviter de frapper le mur.
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On constatera, encore, que des douleurs référées seront ressenties dans
un membre fantôme. Une douleur d’angine, par exemple, pourra se référer
dans le bras gauche absent d’une personne amputée. Une autre caractéristique
frappante de l’expérience fantôme : l’amputé perçoit le membre fantôme comme
une partie intégrante de sa personne, même si le pied fantôme, par exemple,
flotte à quelques centimètres sous le moignon. Enfin, certaines personnes
amputées rapportent que leur membre fantôme possède les mêmes
caractéristiques qu’avant la chirurgie. On parle alors de mémoire somato-
sensorielle qui peut inclure tant des sensations que des douleurs. Melzack et
Katz ont particulièrement mis en évidence ce phénomène et les facteurs qui
peuvent l’influencer. Premièrement, la douleur pré-amputatoire et l’intensité de
cette douleur : il semble que le cerveau soit capable de stocker toute sensation
ou douleur et de la faire ressurgir à un moment ou à un autre. Cependant, la
douleur prend la plupart du temps le pas sur la sensation. Entre une botte trop
serrée au moment de l’amputation et la présence d’un ulcère, c’est l’ulcère qui
sera ressenti le plus fortement par le patient. Deuxièmement, la relation
temporelle entre la douleur et l’amputation : plus la douleur expérimentée par le
patient est proche du moment de l’amputation, plus les chances sont élevées
que cette même douleur se transporte dans le membre fantôme, après
l’opération. Troisièmement, les inputs sensoriels multimodaux : dans plusieurs
cas d’amputation, la mémoire somatosensorielle incluait des phénomènes
perceptuels complexes intégrant des composantes visuelles, tactiles et motrices
présentes lors de l’expérience originale.
Les expériences fantômes, notamment les douleurs fantômes, peuvent
être aggravées par divers facteurs comme le stress émotionnel, le manque de
sommeil, les troubles cognitifs, les baisses de température, la défécation, la
miction, l’éjaculation, le bâillement et la toux. Une douleur au moignon ou à un
autre endroit du corps peut augmenter la douleur fantôme. Par exemple, une
prothèse mal ajustée peut être source d’aggravation de la douleur fantôme. Il
faut aussi noter l’impact psychologique d’une amputation qui est énorme. A
divers degrés, la plupart des amputés éprouvent dépression et anxiété, sens doul fantome.doc
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apitoiement sur eux-mêmes, colère, difficulté d’ajustement aux plans physique
et social, perte d’appétit, du désir sexuel et du sommeil. Tous ces troubles
peuvent produire, réanimer ou prolonger les douleurs fantômes et ainsi, nuire
au processus de guérison et au traitement des patients.
Les théories explicatives
Comment expliquer le phénomène étonnant des expériences fantômes?
Des chercheurs s’y sont appliqués et ont élaboré des théories dans trois
directions : des théories psychologiques, des théories périphériques et des
théories centrales. Il convient de les présenter succinctement.
Les théories psychologiques
On a tenté d’expliquer la douleur fantôme par des sentiments d’hostilité ou
de culpabilité à la suite de la modification des relations entre l’amputé et son
entourage ( Laurence C. Kolb) ou à un syndrome de deuil dû à la difficulté pour
la personne amputée à accepter la perte d’un membre. Cependant, la
communauté scientifique considère majoritairement que les facteurs
psychologiques seuls ne peuvent expliquer la douleur fantôme. Les études de
Richard A. Sherman et de son équipe ont montré que des facteurs
psychologiques comme le stress, l’anxiété ou la dépression pouvaient influencer
la douleur fantôme sans en constituer la cause.
Les théories périphériques
Les études de Sherman se rattachent d’ailleurs à un courant théorique
dans lequel on porte l’attention sur l’extrémité des nerfs du moignon qui envoient
toujours des influx nerveux aux parties du cerveau correspondant au membre
avant son amputation. Deux théories émanent de ces études : la théorie sur la
sensation de crampe et la théorie sur la sensation de brûlure. Dans la première,
on a démontré qu’il y a une corrélation générale entre le niveau de la tension
musculaire et l’intensité de la douleur fantôme qui se présente sous la forme
d’une crampe. Dans la deuxième, on a fait la preuve qu’un changement de flux
sanguin dans le moignon est la cause du changement dans l’intensité de la
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douleur fantôme qui est ressentie comme une brûlure. Cependant, aucune des
théories périphériques n’est en mesure de cerner la cause principale des
Les théories centrales
D’autres chercheurs, notamment Ronald Melzack et R.W. Davis,
proposent des explications différentes : la douleur fantôme ne proviendrait pas
de la périphérie, mais du système nerveux central, du cerveau lui-même. Dans
cet ensemble de théories, les recherches de Ronald Melzack occupent une
bonne partie de l’horizon scientifique.
Melzack propose d’abord sa théorie du portillon ou « gate control theory »
qu’il complète quelques années plus tard par son hypothèse du « Central Biasing Mechanism » ou Mécanisme D’inhibition Centrale, puis par ses explications sur
le « Central pain Mechanism » ou Mécanisme de la douleur centrale. Les
travaux récents de Melzack nous permettent de comprendre encore mieux le
phénomène de la douleur fantôme à partir du concept de neuromatrice qui
produirait une neurosignature. La neuromatrice, réseau des neurones,
produirait de façon constante un patron caractéristique d’influx indiquant que le
corps est intact et propre à la personne : c’est la neurosignature. Une telle
matrice fonctionnerait en l’absence d’influx sensoriels provenant de la périphérie
du corps, ce qui créerait l’impression d’avoir un membre, même si ce membre a
été enlevé. Pour Melzack, la neuromatrice, prédétermineé génétiquement, peut
aussi être sculptée par l’expérience. C’est pourquoi, par exemple, l’expérience
pourrait permettre à la matrice d’emmagasiner la mémoire d’une douleur causée
par un ulcère gangreneux. Cela pourrait expliquer la réapparition fréquente de
douleurs pré-amputatoires dans le fantôme.
Dans une revue de littérature en 1993, R.W. Davis exprime son accord
avec Melzack sur l’explication d’un membre fantôme à partir d’une neuromatrice,
mais il est d’avis que la neuromatrice ne peut expliquer la douleur fantôme.
Aussi, propose-t-il une théorie à partir des mécanismes neurophysiologiques qui
sont à l’origine de la transmission de la douleur. A la suite de la lésion d’un nerf sens doul fantome.doc
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périphérique, des changements surviennent aux neurones de la corne dorsale.
Cela provoque la plasticité de ces neurones de telle sorte qu’ils s’endommagent
et commencent à générer des influx douloureux dirigés au cerveau. Cependant,
si cette théorie permet d’expliquer les douleurs fantômes chez les amputés, il est
moins sûr qu’elle puisse expliquer les douleurs fantômes chez les individus
souffrant d’une malformation congénitale.
Les traitements proposés
Pour soulager les douleurs fantômes, on est encore à la recherche d’une
grande efficacité. Parmi la cinquantaine de traitements relevés par Sherman
dans une revue de littérature en 1980, la plupart ont un taux de succès
comparable à celui des placebos, c’est-à-dire 30%. Au mieux, on peut
soulager, d’une façon temporaire, la moitié des personnes souffrant de douleurs
fantômes. Néanmoins, il convient de recenser les différents traitements connus
qui peuvent être classés en quatre catégories : les traitements psychologiques,
Les traitements psychologiques
Une multitude de traitements psychologiques sont utilisés pour tenter de
soulager les douleurs fantômes. Mentionnons l’hypnose, la psychothérapie, les
thérapies du comportement, les thérapies cognitives, les groupes de soutien et
les cliniques de la douleur. Ces interventions visent à apprendre aux patients à
gérer leur douleur et à favoriser leur adaptation à leur nouvelle image corporelle.
Les traitements physiques
Différents traitements physiques sont utilisés pour soulager les douleurs
fantômes : L’acupuncture, le massage du moignon, le bandage élastique, les
modalités thermiques, les stimulations électriques. Parmi ces dernières,
mentionnons le « Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation » (TENS), l’unité
de bio-réaction et le « courant de Bernard ». Concernant l’utilisation du TENS,
on peut appliquer les électrodes tant au niveau du nerf et de son dermatome
qu’au niveau du membre sain lui-même à l’endroit correspondant à la douleur
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fantôme. Avec l’unité de bio-réaction, on tente tantôt d’augmenter la
température corporelle s’il y a sensation de brûlure, tantôt de réduire la tension
musculaire du patient, s’il y a sensation de crampe. Quant au « courant de
Bernard », il semble présenter autant d’inconvénients que d’avantages.
Malheureusement, tous ces traitements physiques ne semblent apporter qu’un
soulagement temporaire des douleurs fantômes.
Les traitements chirurgicaux
De façon générale, les divers traitements chirurgicaux employés depuis
plusieurs années ne semblent pas avoir donné des résultats appréciables.
Cependant, certains traitements chirurgicaux sont utilisés lorsque tous les autres
moyens non chirurgicaux ont été essayés sans succès. Mentionnons la
stimulation directe des nerfs périphériques, la stimulation de la moelle épinière,
la stimulation profonde du cerveau et la procédure DREZ (« Dorsal Root Entry
Zone ») qui consiste à détruire les cellules de la moelle épinière qui reçoivent
directement les inputs des nerfs sensitifs du moignon.
Les traitements médicaux
Une panoplie de médication est employée pour tenter de soulager les
douleurs fantômes des amputés : les analgésiques, les antipsychotiques, les
anti-convulsivants, les acides gama-aminobutyriques (GABA) agents bloqueurs
neuro-musculaires, les antidépresseurs tricycliques, les bêtabloquants, les anti-
arythmiques, les anesthésiques généraux et locaux. En l’absence de traitements
tout à fait efficaces, de quelque ordre qu’ils soient, on a pensé récemment
prévenir les douleurs fantômes par une anesthésie locale. Mais qu’on l’utilise
d’une manière préventive ou après l’amputation, l’anesthésie locale ne semble
pas encore apporter des résultats entièrement convaincants.
CONCLUSION
Le phénomène des membres fantômes, ainsi que les sensations et les
douleurs fantômes qui y sont reliées, demeure un défi de taille pour le monde
médical et les professionnels de la santé. Il soulève des doutes à propos de
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certains concepts en psychologie : que les sensations sont exclusivement
produites par des stimuli ou que la perception de notre corps est le résultat des
inputs sensoriels laissant un message au cerveau. Le cerveau n’est pas passif.
C’est lui qui génère la perception du corps et les inputs sensoriels ne font que
moduler cette perception. Les solutions à venir devront s’enraciner dans cette
connaissance du cerveau qui a « son » corps et dont le prolongement s’étend
jusque dans les membres fantômes et leur douleur.
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